La triste histoire du comte Jean Vivant Micault de Corbeton, châtelain à Fleurey.

Publié le par hipaf

 Le "Crésus" Micault
 
Jean Vivant Micault de Corbeton est né le 10 mai 1725 et a épousé Marie Charlotte Trudaine le 27 juin 1765. En 1789, il est Président au Parlement de Bourgogne. La plupart des parlementaires dijonnais sont de riches nobles ; Micault est de loin parmi les plus riches. Sa résidence principale est, rue Vauban à Dijon, le magnifique hôtel particulier des Monnoyes agrémenté d'un beau parc planté d'arbres rares ; il possède aussi le château d'Agey, des fermes, des résidences, des centaines de journaux (ou soitures , arpents, ouvrées)* de terres, de prés, de bois, de vignes à Meilly, Maconges, Rouvres-sous-Meilly, Barbirey, Agey, Santenay, Pommard.
A Fleurey, il est propriétaire du château de la Velotte récemment agrandi, de la ferme attenante, d'une autre ferme rue du Rupot, près de la rue du Moulin, d'environ 176 journaux de terres, de 23 soitures de pré, de chènevières, de vignes.
Si le patrimoine immobilier est impressionnant, le patrimoine mobilier ne l'est pas moins : dans son hôtel de Dijon, un recensement l'estime à 100 574 livres : 36 armoires, 40 lits, 60 fauteuils, 16 commodes, etc. ; les 20 caves sont remplies de pièces et de bouteilles des meilleurs vins : exemple : 814 flacons de Malaga. On trouvera, cachés dans un caveau, de l'argenterie et des bijoux pour un poids total de 1395 marcs (plus de 340 kg).
On verra plus loin que le mobilier du château de Fleurey est, aussi, remarquable.
*un grand journal ou soiture : 34 ares ; un arpent royal : 51 ares ; une ouvrée : un huitième de journal
 
 
 
 
 
 
 
 
Au fond, le château de la Velotte
 
 
 
D’après un dessin de Pierre Berthoux
L'enchaînement fatal
Dès l'été de 1789, de nombreux nobles, craignant la vindicte populaire, quittent la France.
La loi du 8 avril 1792 ordonne la mise sous séquestre des propriétés des "citoyens absents" ; ceux qui sont rentrés entre le 9 février et le 8 mai 1792 échappent à la sanction mais doivent payer un double impôt pour l'année en cours ; les suspects doivent fournir un certificat de résidence sinon ils sont déclarés émigrés.
Micault de Corbeton et sa femme sont sortis de France en octobre 1789 .
Ils rentrent en mars 1792, avant le terme fatal. Micault s'installe à Luxeuil et évite un retour à Dijon. Depuis la ville d'eau il envoie des certificats de résidence et des certificats médicaux. Mais ceux-ci sont considérés non valables.
Le 13 brumaire an II (3 novembre 1793), le Directoire du département ordonne au District de Dijon la confiscation des biens du Sieur Micault.
L'inventaire de tous les biens est établi ; le mobilier du château de Fleurey est inventorié du 24 brumaire an II au 2 frimaire an II (14 novembre au 22 novembre 1793) par Mathieu Pérille chirurgien, commissaire nommé par le Directoire du District de Dijon et Claude Truillot et Jean Saverot, officiers municipaux ; le scribe est Antoine Lignier, greffier de justice et la prisée est faite par Antoine Nicolas, marchand ; tous les cinq, habitants de Fleurey. Une liste de 390 articles est dressée pour une valeur estimée de 5965 livres 14 ; on note, entre autres, 40 ustensiles de cuisine en rosette (cuivre), 4 buffets, 4 armoires, 15 lits, 49 fauteuils, 6 commodes, 4 trumeaux, 19 chandeliers, 6 girandoles, 17 paires de draps, 17 demi-douzaines de serviettes….
 
Micault arrêté est d'abord incarcéré à la prison de Luxeuil. Par une lettre du 9 frimaire an II (29 novembre 1893), le ministre de l'intérieur intervient en sa faveur auprès de l'administration du département ; sans succès ! 
 
Micault victime de la Terreur et de Pioche Fer
Nous sommes à l'époque de la Terreur, le Comité de Salut Public, créé le 6 avril 1793, envoie en mission , muni de pouvoirs spéciaux, André-Antoine Bernard de Saintes qui se fait appeler Pioche Fer Bernard. Il arrive à Dijon le 15 pluviose an II (3 février 1794) et s'installe dans l'hôtel particulier de Micault : il écrit "…Mon coup d'essai a été de prendre gîte dans la
maison du Crésus Micault, président du Parlement, et j'ai eu assez bon nez ; car, outre que la cave est meublée de très bon vin, c'est qu'il s'y est trouvé quelques petites armoiries* qui m'ont mis dans le cas de faire confisquer au profit de la nation ce superbe hôtel, bien plus richement meublé que le château de Montbéliard. J'ai donc fait une bonne capture qui, j'espère, sera suivie de quelques autres, et, en outre, j'envoie chercher le maître à Luxeuil pour le faire juger émigré. Si cela est, 400 000livres de rente vont tomber dans les coffres de la nation. »
Laissons la parole à Pierre Perrenet auteur de l'ouvrage "La Terreur à Dijon, la Conspiration des prisons"   Dijon 1907
"Micault de Courbeton avait été incarcéré au Château (de Dijon), le 25 pluviôse an II (13 février 1794), sur la réquisition de Pioche-Fer Bernard lui-même. Le 4 ventôse (22 février 1794), il était transféré à la Conciergerie sous l'inculpation d'émigration : c'était l'antichambre du Tribunal criminel. Devant ses juges, le 4 ventôse, Micault de Courbeton, assisté de l'avocat Larché, n'eut pas de peine à se défendre. Il n'avait jamais quitté la France, et à l'aide de certificats de résidence, il fit la preuve qu'il avait toujours habité soit Nancy, soit Luxeuil. En présence de ces certificats qui détruisaient d'une façon manifeste l'accusation d'émigration, le Tribunal renvoya Micault devant le Directoire du département. Celui-ci, sous la pression de Pioche-Fer Bernard, qui voulait une victime, déclara que ces certificats de résidence n'avaient pas la forme légale, qu'il n'y avait pas à en tenir compte, et que Micault de Courbeton était bien en état d'émigration.
Le tribunal criminel hésitait encore. Le 27 ventôse (17 mars 1794), à midi, une lettre pressante**de Bernard lui enjoint de juger; le même jour, Micault de Courbeton est condamné à mort et exécuté. "
Comme 9 autre Côte-d'Oriens, c'est sur la place du Morimont (place Emile Zola) que Micault est guillotiné.
A cette époque de la Terreur les têtes tombent facilement ; aussi bien celle des ci-devant que celle des révolutionnaires trop modérés ou trop radicaux.
* Armoiries : signes, devises, ornements de l'écu de la famille. On a trouvé un grand poêle de fonte chargé de fleurs de lys, portant un écusson sur un manteau ducal et également surmonté d'une couronne ducal. Un décret de la Convention du 3 frimaire an II oblige les nobles à faire disparaître tous les signes de royauté et de féodalité.
**La lettre dit : "Rien ne doit donc arrêter la marche du tribunal après une décision définitive et non rapportée du département sur le fait de l'émigration. La loi est là, quiconque l'enfreint mérite la peine qu'elle a prononcée".
 
"La Dénonciation"
Quelques mois plus tard, alors que la Terreur s'est terminée avec la mort de Robespierre, les six sections révolutionnaires de Dijon envoient à la Convention nationale une "Dénonciation" adressée à Pioche Fer Bernard. "Nous t'accusons d'avoir pillé* la maison de l'infortuné Jean Vivant Micault, et d'avoir envoyé ensuite ce citoyen à l'échafaud. La preuve de ces crimes se tire, et des procès verbaux d'inventaire du mobilier Micault, et de la lettre aux sans-culottes de Monbéliard, datée de Dijon le 17 pluviose de l'an II, et d'une autre lettre de toi du 27 ventose suivant au Tribunal criminel de la Côte-d'Or, dans laquelle tu reproches aux juges de vouloir le sauver, et tu les menaces de mort s'ils ne font périr à l'instant du dernier supplice le malheureux que tu pillais et chez qui tu avais établi le théâtre de te s brigandages et de tes débauches….."
"Mais ce n'était pas assez d'avoir ordonné son supplice ; d'avoir en moins de quatre heures arrêté l'instant de son trépas, convoqué le Tribunal pour le faire exécuter ; mis sur pied , même avant le jugement, la force armée, pour ajouter à l'appareil de cette sanglante cérémonie ; préparé l'instrument fatal, et tout apprêté pour la consommation de tes instincts homicides ; Pioche Fer Bernard tu n'eûsses pas été satisfait, si tu ne fusse pas convaincu par toi-même que ta victime n'était plus, et le coup mortel qui termina les jours de Micault ne frappa, le sang de ton hôte ne coula, que quand le bourreau fut assuré de ta présence et de l'autorisation de son chef.
Nous t'accusons d'avoir, quelques heures après la mort de cet infortuné vieillard, poussé l'impudence et l'outrage envers sa mémoire, jusqu'à te livrer devant sa maison et dans sa cour, avec tes dignes acolytes, à la joie la plus barbare ; et de l'avoir manifesté aux yeux même de sa fille et de quelques uns de ses serviteurs par des chants et des danses."
* L'inventaire fait après les 69 jours de résidence de Pioche Fer Berenard et de ses acolytes établira la disparition de 537 bouteilles de grands crus dont 38 bouteilles de Chambertin et d'une pièce trois quarts de Santenay et la casse de beaucoup de vaisselle.
 
Confiscation et vente des propriétés de Fleurey
Les biens des émigrés deviennent propriété de la nation.
Le 20 prairial an II (8 juin 1794), Jean Antoine Romey de Dijon, après 21 jours de travail, termine le recensement des biens immobiliers de Micault de Corbeton à Fleurey .
Il a été aidé dans sa tâche par Claude Dellery maire de Fleurey et Pierre Bouhin, fermier de Micault de Corbeton. Voir l'extrait ci-après :
"Déclaration générale du domaine de Fleurey qui appartenait à Jean Vivant Micault.
Dans la ruelle des vignes de la commune de Fleurey ; un clos de forme irrégulière fermé de murs pour la plus grande partie ; dans ce clos sont : 1° un petit corps de bâtiments qui servait de logement au jardinier, consistant en une chambre basse avec un four, en deux cabinets sur l'un desquels est un grenier, et en une chambre haute avec un grenier au-dessus, le tout en mauvais état et ayant besoin d'urgentes réparations. 2° une petite cour qui est à la suite de ces bâtiments. 3° Deux petites écuries placées dans la cour et qui sont bâties en appentis contre le mur de clôture de cette cour faisant face à la ruelle des vignes ; 4° une autre écurie avec fenil dessus située au fond de cette même cour, et qui est également construite en appentis contre le mur pignon du grand corps d'hébergeage ci-après déclaré ; lesquelles écuries sont en passable état. 5° Un grand corps d'hébergeage en fort mauvais état et dont la couverture tombe de toutes parts, composé d'une écurie pour les chevaux garnie d'une mangeoire et d'un râtelier avec fenil dessus et d'un cabinet à coucher au fond ; d'une grange ensuite dont la grande porte est très mauvaise ; d'une autre écurie garnie d'une mangeoire et d'un râtelier ; et d'une autre grange aussi avec mangeoire et râtelier, dont la porte est également fort mauvaise. 6° un cabinet de latrines situé derrière ce grand corps d'hébergeage . 7° un petit jardinet fermé de murs et dans lequel sont deux jolis petits pavillons neufs où sont des latrines et cabinets ; 8° Un grand corps de bâtiments presque neuf, lequel est composé de sousterrains voûtés consistant en cuisine, lavoir, offices, fruitier, charbonnier et caves ; d'un rez de chaussée consistant en un vestibule où est un escalier en pierre garni d'une rampe en fer, en une salle à manger, en un salon avec cheminée en marbre blanc, en plusieurs chambres avec cheminées de pierre polie et en plusieurs cabinets, le tout plafonné et en partie parqueté ; d'un premier étage consistant en un corridor, en plusieurs chambres avec cheminées de pierre polie et en plusieurs cabinets, le tout plafonné et en partie parqueté ; et enfin de plusieurs mansardes et greniers régnant sur le tout. 9° D'une cour située au devant de ce grand corps de bâtiments ; 10° D'une petite serre située à gauche de la porte d'entrée de ladite cour ; 11° Un colombier carré situé dans le clos ; 12° Et finalement des allées d'arbres et charmilles, parterre, jardins, prés et terres labourables ; le tout formant un seul emplacement de la contenance d'environ onze journaux , figuré au plan…."
 
 
 
L’inventaire des autres terres, prés, chènevières, vignes, est fait, lui aussi.
 
 
Le tout est partagé en 67 lots et estimé 39 727 livres.
Le château et les fermes sont vendus, le 11 fructidor an II (28 août 1794), à Jean Cazotte et Antoine Lignier* pour un total de 32 500 livres. Les terres, vignes, chenevières, prés sont vendus du 12 au 14 fructidor plus de 40 000 livres. Les acheteurs sont nombreux ;à Fleurey : Claude Pavaillon, André Maillot, François Potier, Mathieu Pérille, et encore Jean Cazotte et Antoine Lignier.
*Agissant pour eux et neuf autres associés
 
Triste épilogue
 
Les malheurs de la famille de Micault de Corbeton ne sont pas terminés ; le 8 thermidor an II (26 juillet 1794), le fils Joseph Vivant, le gendre Charles Michel Trudaine de la Sablière et son frère sont à leur tour guillotinés. Leur condamnation a
été prononcée à Paris par le Tribunal Révolutionnaire.
A sa mort, hormis son fils bientôt guillotiné, sa fille bientôt veuve , Micault laisse deux autres enfants : une fille , Charlotte, Joséphine, 23 ans, "en état d'imbécillité depuis sa naissance"* ; un garçon, Lubin Marie Vivant, 17ans, qui mourra dans un asile d'aliénés !
 
* Demande de nomination d'un curateur du 26 pluviose an II (14 février 1794)
 
 
Le 24 thermidor an III (11 août 1795), Jean Vivant Micault est rayé de la liste des émigrés. En conséquence, à l'exception des biens de Fleurey, les biens mobiliers et immobiliers sont rendus à la famille ; un arrêté portant main levée de séquestre est rendu en ce sens le 17 brumaire an VI.
 
Cependant, c'est seulement le 30 avril 1832 que M. de Vérac , légataire universel de la famille Micault, recevra une indemnité de 53 315 francs pour les propriétés saisies à Fleurey.
 
Guy MASSON
 
                        Borbeteil n° 32
                            
 
                                                                                                                                
Sources : A D C O : Q 212 et Q 1070.
Recherches de M. Fernand BOIGET.
PERRENET Pierre, La Terreur à Dijon, La conspiration des prisons, Dijon, 1907.
COLOMBET Albert, Les parlementaires bourguignons à la fin du XVIIIe siècle, Dijon 1937
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P
Merci pour fe très bon article très documenté et vivant. Je serai desireux de citer une partie de ces articles dans un travail que je realise sur un personnage qui a lui aussi été emprisonné sous la terreur et qui y a survécu, son pere s'étant suicidé entre temps.<br /> Pourriez,vous me contacter par mail?<br /> Merci d'avance, bien cordialement<br /> Pascal Faucheux
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