Flottage du bois sur la rivière d’Ouche et rébellion à Fleurey

Publié le par hipaf

 
 
A la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, notre rivière, comme beaucoup d’autres, a été utilisée pour le flottage* du bois. Aujourd’hui, nous trouvons cette information surprenante et, pourtant, elle est fondée. En ces temps, le bois est la seule source d’énergie pour la cuisson des aliments et le chauffage et aussi pour le fonctionnement des hauts fourneaux ; à proximité des villes les forêts sont surexploitées ; il faut faire venir le bois d’assez loin. Sur des routes mal entretenues, le voiturage à chevaux est lent, coûteux et limite les quantités ; au contraire, en période de hautes eaux, l’Ouche, de l’amont vers l’aval, est un moyen de transport de bois en direction de Dijon qui ne nécessite ni voitures, ni animaux et permet de forts tonnages. Inconvénients, entre autres **, les morceaux de bois peuvent endommager les ponts, les roues des moulins et des usines et les glacis des biefs. On verra plus loin que ce problème suscitera un grave incident à Fleurey. 
Dès 1669 et 1672, des ordonnances régissent le flottage du bois sur notre rivière. Elles précisent : «Le flotteur devra supporter les dégâts causés par le flottage »(1). Un arrêté du 13 nivôse an V de la République française rappelle : « tous les propriétaires d’héritage aboutissant aux rivières et ruisseaux flottables seront tenus de laisser au long des bords, quatre pieds pour le passage des employés à la conduite des flots, sous les peines portées à l’article II. » (1).
Le 8 janvier 1783, le parlement de Dijon rappelle un arrêt du 16 juillet 1765 enregistré au Parlement de Dijon le 27 mai 1766 qui permet le flottage et par un nouvel arrêt, il autorise Henry Lalligant négociant à Mimeure à utiliser la rivière d’Ouche pour le flottage, sous certaines conditions. L’arrêt ordonne : « …pendant la descente et le flottage des bois et après un premier avertissement qui sera donné aux meuniers propriétaires ou fermiers d’usines, depuis le moulin de Logne qui se trouve entre Labussière et Saint Victor, jusqu’à Plombières, même jusqu’à Dijon, lesdits meuniers propriétaires ou fermiers d’usines seront tenus de poser à leurs frais des grilles ou râteliers au devant des écluses et vannages de leurs moulins pour éviter les dégradations que quelques bûches échappées ou quelques bois détachés …pourraient occasionner à leurs roues et autres bois virant et tournant.
Ordonne pareillement aux meuniers fermiers ou propriétaires d’usines d’entretenir leurs grilles ou râteliers pendant tout le temps du flottage … » (1)
En outre, un entrepreneur nommé Albert est désigné pour établir un état des lieux sensibles avant et après le flottage.
* Le flottage est dit à « bûches perdues » ; les bûches sont jetées pêle-mêle dans la rivière ; le bon écoulement des bûches est assuré par des gens armés de « crocs » qui suivent sur les bords.
** En 1790, les habitants de Pont- de-Pany et Sainte-Marie veulent empêcher un prochain flottage du sieur Laligant ; ils se plaignent des dégradations causées à leurs ponts par un précédent flottage, mais aussi avancent que le transport de bois sur la rivière « détruit l’alevin et fait fuir le gros poisson ce qui prive le pays d’une grande ressource… ». Le 28 octobre 1790, le flottage prévu est néanmoins autorisé. (1) 
 
 
Pendant la Révolution, le flottage vient au secours de Dijon qui manque de bois :
Dès 1792, le directoire du Département s’inquiète de la pénurie de bois et de sa cherté. Il décide de confisquer les bois des émigrés mais doit trouver aussi des solutions pour convoyer le bois jusqu’à Dijon.
Le 7 janvier 1793, le directoire du département  prendun arrêté « portant liberté à H Laligant de faire flotter son bois sur la rivière d’Ouche » (2). Cet arrêté fait suite à « la pétition de Henri Laligant, négociant demeurant à Mimeure, par laquelle il expose qu’ayant pratiqué depuis environ 12 ans par la rivière d’Ouche le flottage du bois de chauffage, …, et désirant le continuer, il se trouve empêché par différentes municipalités* ; les unes lui refusant un local pour le dépôt de ses bois, les autres mettant des obstacles au cours d’eau nécessaire pour le transport, que plusieurs ponts menaçant ruine, causent des craintes et des embarras aux flotteurs, que les moulins et autres usines qui s’étendent sur la rivière et dont les propriétaires et fermiers pourraient demander des indemnités excessives si leur état n’était pas constaté avant et après le flottage, opposeraient encore un obstacle à cette mesure de commerce et d’approvisionnement. » (2) Il est fait obligation aux municipalités de ne pas s’opposer au flottage, un contrôle de l’état des ponts, moulins, usines, déversoirs étant prévu avant et après le passage du bois.
 
Le 2 avril 1793, alors que le flottage de bois n’a pas encore eu lieu, sur réquisition des commissaires Bourdon et Prost de la Convention Nationale, le Directoire du Département de la Côte-d’Or considérant : « que par l’effet de l’intelligence qui règne entre les marchands de bois pour exhausser le prix d’une denrée de première nécessité, cette ville (Dijon) se trouve au dépourvu de toute espèce de bois, que le dénuement en est si absolu que le service des boulangers est sur le point de cesser par la difficulté de s’en procurer, ce qui excite une réclamation générale.
Considérant qu’il importe de mettre un frein à l’avidité de ce genre de spéculateur et d’user de toute l’autorité des lois contre la cupidité et le monopole qui existe à cet égard et de pourvoir par les mesures les plus actives et les plus efficaces aux besoins du peuple. . Pour remédier à cette situation, il rappelle que le sieur Lalligant, fermier de la Bussière, s’est engagé à fournir par flottage comme il le fait depuis plusieurs années, 8 000 moules (*) de bois à la ville de Dijon. »(2) 
(*)un moule équivaut à un stère et demi
 
Fleurey entre en rébellion contre l’administration républicaine
En vue de ce transport par la rivière, le citoyen Antoine Antoine, ingénieur est envoyé le 8 avril « pour dresser l’état dans lequel se trouveront les ponts moulins et usines situées sur la rivière d’Ouche. » (2)
 Lui et Blanchon, commis de Lalligant, sont très mal reçus à Fleurey où l’on garde un mauvais souvenir des dégâts causés par les flottages précédents ; Antoine Antoine   rapporte que s’étant transportés sur le pont de Fleurey pour remplir leur mission le lundi huit avril vers trois heures de l’après-midi, le conseil général* de la commune étant prévenu, « ils ont trouvé trente ou quarante habitants du nombre desquels étaient la majeure partie des membres du conseil général de la commune auxquels ayant déclaré l’objet de notre voyage ils ne nous ont répondu que par des propos qui annonçaient le plus grand mépris et la résistance la plus opiniâtre aux arrêtés du département. N’ayant pu les ramener à des sentiments plus raisonnables, moi commissaire susdit je me suis mis en devoir de prendre les notes nécessaires pour la rédaction de mon rapport, ce que je n’ai pu faire avec bien de l’attention à cause du grand tumulte et des injures dont j’étais assailli ; et de suite m’étant transporté sur le glacy poursuivre mon opération, le tumulte, les injures et les menaces ont augmenté au point que nous avons été l’un et l’autre plusieurs fois poussés, pris au collet et entraînés vers la rivière pour y être précipités. Cette scène de fureur ayant duré plus de deux heures ils ont fini par me forcer à leur donner une copie des notes que j’avais prises et je me suis enfin tiré de leurs mains qu’en leur promettant de leur communiquer mon rapport avant que d’en faire le dépôt.
Nous observons que nous avons particulièrement le plus à nous plaindre du syndic et du maire de la commune, du meunier de Morqueuille et du nommé Bastien qui nous ont paru être les plus furieux ; quoiqu’en général tous fussent bien animés. Nous devons cependant excepter le citoyen Pérille, chirurgien et officier municipal, et le citoyen Cazotte juge de paix desquels nous n’avons pas à nous plaindre. … ».(2) 
La réaction du directoire du département est vive ; le citoyen Etienne Rameau, administrateur du Département, est nommé commissaire pour faire arrêter et conduire à la prison les séditieux, notamment le maire, le procureur de la commune, le citoyen Bastien et le meunier de Morcueil. Le 11avril, accompagné du citoyen Bourdon, il quitte Dijon avec 50 gardes nationaux, une pièce d’artillerie et toute la gendarmerie nationale. A 7 heures du soir la troupe arrive sur une petite hauteur qui domine le village ; tous les chemins sont bloqués par la gendarmerie ; une partie de la troupe rassemble la Municipalité (beaucoup de membres ont préféré rester cachés)  et le commissaire Rameau rappelle les termes de la loi et des arrêtés ainsi que le besoin urgent de bois pour Dijon, s’étonnant que des membres de la municipalité aient participé à la manifestation.
En réponse il est dit que lors d’un précédent flottage, sous l’ancien régime, le pont fut endommagé et il ne fut accordé qu’une indemnité de 75 livres alors que les réparations avaient coûté 14 à 15 cents livres et il est demandé qu’un expert de Fleurey participe à l’établissement de l’état des ponts et usines avant et après le flottage (ce qui sera accordé).  
Les forces de l’ordre quittent Fleurey vers les neuf heures du soir après avoir cimenté la paix et l’union en buvant … le vin du citoyen Pérille. Trois citoyens sont néanmoins arrêtés, le maire, le procureur de la commune et un officier municipal.
Dans son rapport Etienne Rameau, considérant que les habitants voulaient seulement défendre les intérêts de la commune, propose l’élargissement rapide des trois citoyens arrêtés (ce qui ne tardera pas) ; il indique que tous les propriétaires riverains seront totalement indemnisés pour les dégâts commis par les marchands flotteurs.
 
Le 14 avril 1793, en présence d’un expert nommé par la municipalité de Fleurey, une nouvelle visite est effectuée sur la rivière ; elle rend compte de l’état, souvent mauvais, des installations suivantes : un grand glacis en amont de Fleurey, un canal qui traverse la propriété du citoyen Cazotte, le Moulin de Morcueil, le Moulin de la Roche, le grand pont de Fleurey. A propos du pont, ilest dit :« Le grand pont de Fleurey sur la rivière d’Ouche est composé de sept arches ; la première pile du côté de l’église est séparée de la tête par un lézard de trois pouces** au moins de largeur, la voûte soutenue par des ancres en fer est très lézardée. Les cinq premières assises de la seconde pile sont détruites sur environ dix-huit pouces de profondeur. Trois assises de la troisième pile et six de la quatrième sont aussi détruites sur environ huit pouces de profondeur. Cinq assises de la cinquième sont détruites sur environ un pied** de profondeur. La sixième pile est séparée de la tête par un lézard d’environ deux pouces de largeur et la pointe de l’avant bec est un peu écornée. » (2).
Le flottage a sans doute eu lieu mais nous n’avons pas retrouvé le rapport d’après flottage.
* conseil général : nom donné, alors, au conseil municipal
**un pouce vaut 27 mm ; un pied vaut 12 pouces
 
Suite et fin ?
Un nouveau flottage a lieu fin avril ou début mai 1795. (1)
Le 28 germinal an III, le citoyen Philippe Vionnois est désigné pour procéder aux visites et reconnaissances des usines établies sur la rivière d’Ouche. Les visites avant flottage sont faites les 20, 21, 22 avril 1795 (1er, 2, 3 floreal an III), celles après flottage les 12 et 13 mai 1795 (23 et 24 floréal an III). On remarque dans les constatations que, par rapport à 1793, certaines brèches dans lesouvrages ont été considérablement augmentées par le choc des glaces charriées par la rivière ; l’hiver précédent a donc été extrêmement rigoureux !beaucoup plus froid que les hiver actuels ; qui a déjà vu l’Ouche transportant des glaçons ?
Le pont de Fleurey et le moulin des Roches n’ont pas souffert du flottage, en revanche pour des dommages au grand glacis conduisant l’eau chez lui, le sieur Cazotte recevra 49 livres et, pour quelques dégradations, le meunier de Morcueil aura 30 livres d’indemnité payées sur le champ, lors du constat, par le citoyen Blanchon, agent de Lalligant. (1) 
 
D’autres flottages auront lieu ; jusqu’à quelle date ? Le dernier document trouvé fait état de la nomination, le 1er frimaire an VII (21 novembre 1798), d’un expert chargé de faire les visites de la rivière d’Ouche, à la demande du citoyen Courdier Vallot qui désire faire flotter 6 000 moules de bois de Gissey à Plombières.(1)
On peut supposer que c’est la réalisation du canal de Bourgogne, mis en service le 8 novembre 1813 entre Dijon et Pont-de-Pany, qui a mis fin au flottage sur l’Ouche et, en même temps, aux nombreux différends que celui-ci générait : les péniches ont permis le transport simple de forts tonnages de bois pour des coûts peu élevés.
 
Sources : Archives départementales de la Côte-d’Or : (1) L 1069 ; (2) L 549
 
Guy Masson
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